Les vieilles tiges de l'aviation belge

Remorquage d'un hélicoptère en vol par un avion

La question posée par le titre est moins farfelue qu'on pourrait le croire ! Des remorquages expérimentaux d'hélicoptères ont bien eu lieu dans les années 40.

Mais pourquoi, diable, tirer un appareil à voilure tournante en remorque derrière un appareil à voilure fixe ? George Towson, un Américain qui a participé à certaines de ces expérimentations étonnantes, a donné quelques explications à ce sujet dans le magazine VERTIFLITE (1).

Adapté de l'américain par Alphonse Dumoulin


Au début des années 40, les forces américaines prirent livraison des premiers hélicoptères de série, des R-4 commandés chez Sikorsky. Un modèle R-6, conçu autour des éléments dynamiques du R-4, reçu un moteur plus puissant. Puis Sikorsky livra en série dès 1944 un appareil plus performant, le R-5 que l'on connut aussi sous le sigle de S-51. Aux yeux des aviateurs américains, issus d'unités dotées d'avions, tous ces hélicoptères sans exception étaient affligés d'un défaut majeur: une autonomie très réduite.

Ce manque d'allonge des hélicoptères était bien sûr handicap quasi rédhibitoire pour la mise en œuvre opérationnelle de ces nouveaux moyens aériens. Ce qui fit germer dans quelques esprits imaginatifs la proposition suivante: pour tenter d'augmenter le rayon d'action utile des hélicoptères, pourquoi ne pas les remorquer (moteur arrêté, rotor tournant "en autorotation" comme dans l'autogire) jusqu'à courte distance du lieu d'engagement ? L'idée du projet fut acceptée. Il ne restait plus qu'à démontrer la faisabilité de cette solution pas ordinaire !

Afin de rassembler très rapidement les données théoriques et pratiques indispensables au lancement d'essais en vraie grandeur, les états-majors décidèrent d'utiliser dans un premier temps un Focke-Achgelis FA-330 capturé en Allemagne et ramené aux Etats-Unis après la fin de la guerre.

Conçu comme plate-forme d'observation aérienne pour les sous-marins de la marine du Reich, le FA-330 était une sorte de petit "cerf-volant à voilure tournante", un autogire monoplace sans moteur d'un poids en charge de 175 kg que le sous-marin venu en surface remorquait au bout d'un filin d'environ 300 m. Replié et rangé à bord du submersible dans deux conteneurs cylindriques, le FA-330 pouvait être remonté en quelques minutes sur une petite plate-forme conçue pour lui et fixée sur la structure du sous-marin navigant en surface. Pour faire décoller l'appareil et son pilote-observateur, le sous-marin se plaçait face au vent et naviguait à sa vitesse maximale de surface (environ 30 à 45 km/h); le rotor était lancé mécaniquement à une vitesse de rotation de 70 t/min; puis sous l'effet de la vitesse relative (vitesse de déplacement du bâtiment plus la vitesse du vent) la rotation du rotor tournant librement montait à 170 t/min. Dès que la vitesse de l'ensemble atteignait 45 km/h, le FA-330 s'élevait de sa plate-forme et volait en remorque du sous-marin, la longueur du filin étant réglée au moyen d'un treuil. Le pilote, relié par téléphone au "tracteur", faisait de l'observation aérienne à quelques dizaines de mètres au-dessus de la surface, augmentant ainsi considérablement la capacité de repérage à distance de proies éventuelles.

La Eastern Rotorcraft de Philadelphie avait, sur le même principe, construit un appareil un peu plus lourd baptisé Z-8. La société fut chargée des premiers essais avec les deux types d'appareil afin d'accélérer le recueil des données de bases comme les vitesses minimales et maximales de remorquage, ou encore les angles d'attitude critiques des appareils remorqués. Il fallait aussi déterminer la vitesse idéale à laquelle on larguerait l'hélicoptère remorqué en vue de la continuation autonome de son vol et de la mission. C'est à cette phase des essais que George Towson fut associé comme pilote.

Après 6 heures de remorquage du Z-8 et du FA-330 (ce dernier avait été doté d'un train de roues pour les décollages remorqués), l'Air Force estima avoir assez d'éléments concrets pour commencer elle-même ses essais. Sur des aérodromes disposant de pistes de bonne longueur, on se mit donc à faire décoller en remorquage des hélicoptères (entre autres un R-5) dont le moteur était à l'arrêt, le rotor tournant en autorotation. Un peu avant la fin de la phase remorquée, le moteur de l'hélicoptère était mis en marche, porté à bonne température puis poussé au régime de fonctionnement normal. Le pilote de l'hélicoptère décrochait alors le filin et reprenait le contrôle autonome de son appareil.

Le premier avion utilisé fut un C-47 dont on connaissait bien le comportement comme avion remorqueur de planeurs de transport au cours de la 2° Guerre mondiale; mais le paisible Dakota ne donna pas toute satisfaction.

Les essais furent poursuivis avec un C-119 puis avec un C-124. La meilleure vitesse de remorquage fut fixée à environ 110 mph. Parmi les résultats chiffrés de cet étonnant programme, il est amusant de relever, par exemple, que la consommation de carburant de l'avion remorqueur augmentait précisément de la quantité que l'hélicoptère aurait consommée s'il avait fait le même vol par ses propres moyens. Ce qui, bien sûr, ne posait pas de problème puisque, d'une part l'avion disposait d'une autonomie suffisante pour son vol retour et que, d'autre part, l'hélicoptère était tout proche de sa zone d'engagement avec des réservoirs à carburant encore remplis, donc disposant d'une autonomie suffisante pour sa mission. CQFD !

Il semble bien que cet étonnant programme d'essais ne déboucha jamais sur une utilisation opérationnelle du remorquage d'hélicoptère. On peut supposer que l'on trouva plus simple et moins risqué de chercher à accroître réellement l'autonomie propre des giravions ! Les progrès faits pour juguler la gourmandise des moteurs et l'amélioration du rendement aérodynamique des pales et des rotors permirent de ranger assez vite la technique du remorquage d'hélicoptère dans le tiroir des solutions sans avenir immédiat !

(1) VERTIFLITE est la publication trimestrielle officielle de la American Helicopter Society, société professionnelle pour le progrès des technologies du vol vertical et de leur application utile de par le monde.